Rosine, la fille du charretier. |
C'est la faute à Truglio. |
Parmi les étrangers arrivés en 1838 à Bône, figure Antoine. Son nom de famille est BOUGIOLI : un nom à consonnance italienne qui peut faire douter de son origine. Est-il Italien? Est-il Maltais? Antoine ...on devrait dire "Antonio" est adolescent d'origine italienne qui s'est exilé en Malte avant de rejoindre le port de Bône.. Comme tous ceux qui ont débarqué sur ce rivage il n’a pas eu la chance de suivre une scolarité suffisante pour prétendre occuper des postes de responsabilité. Il doit donc se plier aux dures besognes auxquelles les français, plus instruits ne se plient pas. Cependant, sa volonté de réussir et la situation dans laquelle il est acculé le pousseront à se persuader qu’il a bien fait de traverser la Méditerranée. Si c’était à refaire, il le referait…De toute façon il n’a plus le choix…
Sa préoccupation première est de fonder une famille et de la faire vivre dignement pour ne pas connaître ce qu’il a vécu dans le pays que ses parents ont quitté. Il fait la connaissance de Marie RIVARRO… encore un nom à consonance Italienne…et décide de la prendre comme épouse.
Son titre : « LA SEYBOUSE ». La Seybouse c’est la rivière qui musarde dans la plaine de Bône, après avoir côtoyé Mondovi et qui se jette près du port de la ville.Le premier numéro de « La Seybouse » parut le 4 juillet 1843. En grosses lettres, au dessus des 3 colonnes de la première page on peut lire : « LA GUERRE DES SAUTERELLES. »
En 1866, en effet, les sauterelles se sont abattues sur la colonie comme elles ont pu le faire à d’autres reprises. Une vraie calamité qui détruit tout dans les champs en un rien de temps.
Antoine reposant le journal sur la table dit « Il ne manquait plus que ça ! »
En ce jour de mars 1866, la complicité est allée suffisamment loin pour que Marie attende un bébé depuis bientôt 9 mois. TEMPÊTE A BÔNE « A la tombée du jour, les nuages chargés de grains, la mer grossissant de plus en plus et le vent redoublant d'intensité ne laissaient aucun espoir sur le sort des bâtiments livrés à la merci de la tourmente, et, en effet, le lendemain matin, nos plages, jonchées de débris, nous apprenaient la grandeur du désastre, qu'une nuit affreuse avait dérobé aux yeux de tous ». Que des mauvaises nouvelles, tous les jours…. Quelques jours passeront et la bonne nouvelle tombera. Il la lira fin avril 1866 quelques jours après la naissance de son garçon au bas de la quatrième page. Etat civil
« Le 3 avril 1866 François
Nous félicitons chaleureusement les parents » François est allé à l’école tout juste le temps d’apprendre à lire et à écrire. D’ailleurs pour le métier qu’il a décidé d’exercer inutile d’avoir une grande instruction. Il veut être charretier. A cette époque la seule force motrice disponible est encore le cheval. Le charretier joue le rôle de transporteur routier. Les charrettes tirées par un ou plusieurs chevaux sont adaptées aux types de marchandises à charger. Un autre métier est en vogue, c’est celui de maréchal-ferrant qui s’occupe en particulier de ferrer les sabots des animaux. François a connu l’époque où les premiers camions ont commencé à concurrencer le cheval. Cela ne l’a pas vraiment gêné parce que leur nombre était encore insuffisant pour prétendre répondre à toutes les demandes. Il a donc pu continuer à exercer son métier sans problèmes. Dans l’année de ses 26 ans il fait la connaissance de Angèle Vella dont les grands parents sont originaires de Malte.
Angèle a 7 ans de plus que François mais qu’à cela ne tienne :« Plus le fruit est mûr, meilleur il est » disait-il. Ils se marient le 3 novembre 1892.
Le fruit a été si bon qu’ils auront 5 enfants et parmi eux ROSINE MARIE - Joséphine née le 7 août 1895 - Rosine Marie née le 28 février 1898 - Vincent Louis né le 4 octobre 1900
- Marguerite née le 1er mars 1903.
Les parents de Rosine se préoccupèrent davantage à lui apprendre ce que,à leur idée une fille doit savoir faire avant même d'envisager une carrière quelconque. Comme ses soeurs elle apprend tout ce qu'un mari attend d'une femme à cette époque : cuisiner, laver le linge, le repasser, coudre et même broder. A Bône, il exerce le métier de peintre en bâtiments.
Rosine se met à l'écouter d'une "autre oreille" losque le jeune homme lui apprend qu'il est musicien. Elle qui aime s'amuser et rire voit en Michel...le jeune homme s'appelait ainsi...un homme avec qui il ferait bon vivre.
"Artiste il l’a été c’est sûr. Son métier l’a poussé à faire, de belles choses puisqu’il a été décorateur au théâtre de Bône. Cela m'a permis d’assister gratuitement à de belles représentations.
« Tu te rends compte, ils se tapent dessus » dit-il à Carmelo tout en trempant son pinceau dans le pot de peinture posé au sol. « Qu’est ce que tu veux que je te dise, un homme c’est con par nature… Peux être que si on était à leur place on serait assez cons pour faire comme eux. » Et Michel se remet à étaler la peinture sur la porte qui sépare la chambre de la salle à manger. Carmelo lui fait repeindre toute la salle à manger de la maison. On peut atteindre la pièce en gravissant les marches d’un escalier extérieur. C’est par là que les invités entrent pour ne pas traverser la cuisine qui est au rez de chaussée.
Une fois la porte terminée, il dit : « Oui elle est allée le voir mais il arrive pas à dire ce qu’elle a » répond Michel.
« Y’a un moment que ça dure, ce cinéma. La dernière fois qu’elle est venue, elle disait qu’elle avait comme envie de rendre» réplique Carmelo A la maison il retrouve ses deux fils, Michel, 19 ans et François, 17 ans assis à la table de la cuisine. Tout le monde s’inquiète de l’état de santé de la mère. « Si ça continue il faudra aller voir un professeur à Bône » dit Michel Quelques jours passent et le mois de juin est entamé. Ce matin là, Rosine vient de faire sa lessive. Elle sort pour étendre le linge. A l’angle du toit de la maison les hirondelles tournoient devant un nid qui a été déserté à l’automne. On perçoit au loin les claquements de becs des cigognes qui sont sans doute perchées sur le toit de l’église. A ce moment là Rosine a une pensée pour Michel qui est justement dans l’église. Il avait promis à Monsieur le curé de repeindre le choeur. Chaque matin il se rend donc dans la maison du Bon Dieu. C’est l’occasion de refaire le monde avec son représentant sur terre. L’été est là. Rosine fixe une à une les épingles en bois sur le linge étendu en travers de la cour. Voila que les nausées lui reprennent. Elle ne se sent pas bien. Elle décide de retourner voir le docteur. Peut-être lui donnera t-il quelque chose qui la soulagera. Elle sort comme abasourdie de la consultation. Se précipite chez elle, appelle Michel. Celui-ci vient justement de rentrer. Il accourt « Qu’est-ce qui se passe ? « Tu sais ce que m’a dit Taïeb? » « Et qu’est-ce qu’il t’a dit ? » « Je suis enceinte!» Michel la regarde sans même pouvoir dire un mot. Un coup de massue n’aurait pas eu plus d’effet. Le calcul permit de dire plus tard qu’elle était effectivement enceinte d’environ 6 mois. Six mois pendant lesquels toutes les investigations n’avaient permis aucun diagnostic. La nouvelle fut un évènement au village. Rosine avait eu un 3ème garçon en 1927 qui mourut malheureusement assez jeune. Onze ans après, elle attendait un nouvel enfant. Rien, de façon visible ne permettait de le deviner. Deux mois après l'enfant naissait. « On aurait dit un gros rat. Il était tout noir.Ceux qui l’ont vu, pensaient qu’il ne vivrait pas longtemps » « On s’est empressé de lui donner un prénom. Personne n’avait pris le temps de le choisir. C’est une personne de l’entourage qui a prononcé le prénom : Armand…. » Michel n’a pas tardé à organiser le baptême. Tout le village y a été convié. La fête a été organisée dans la salle des fêtes du village.Puisque Armand risquait de ne pas vivre longtemps, il fallait de son vivant lui offrir la plus grande fête qui soit. Chaque convive participa à l’organisation de la cérémonie.
C’est sans doute ce qui a fait que, Armand reconnaissant, a tenu à survivre afin de pouvoir remercier tout ce monde qui avait manifesté tant de solidarité. L’aventure qu’a vécue Rosine avant cette naissance a ému tout le village. Mais voila qu’une autre épreuve se prépare pour la famille. Ma mère raconte : « Rosine, à cette époque a été bien mal. Papa était alors militaire en garnison à Constantine. Nous étions fiancés. Nous nous étions entendus pour lui rendre visite. Elle était à la clinique du docteur Bouquet de Beauséjour à Bône. Là où je t’ai mis au monde. Elle était très fatiguée. On ne savait pas trop ce qu’elle avait. C’est le docteur Taïeb qui demanda à ce qu’elle rentre en clinique. Là, le docteur qui l’a prise en charge décida de l’opérer pour vérifier son diagnostique : un cancer. La sœur de mémé qu’on appelait Fifine,( Joséphine), habitait Bône. Elle était constamment à son chevet. A la sortie de la salle d’opération, le docteur lui apprit la nouvelle, précisant qu’il était inutile qu’il la recouse étant donnée la gravité de ce qu’elle avait. Elle risquait même de ne pas passer la nuit. Il conseilla à Fifine de rentrer chez elle, précisant qu’elle serait avertie si quelque chose de nouveau se passait. Fifine rentra chez elle, toute retournée et le cœur gros de devoir ainsi se résoudre à perdre une de ses sœurs. Elle ne ferma pas l’œil de la nuit. Le lendemain matin n'ayant aucune nouvelle, elle ne tarda pas à se rendre au chevet de Rosine pour découvrir qu’elle était en vie et bien en vie. Le docteur prit la décision de finir son opération en recousant l’incision qu’il avait pratiquée. Elle avait « la peau sur les os ». Ses doigts ressemblaient à des pattes de poulets. Elle resta un bon mois à la clinique puis elle rentra à Mondovi où on continua les soins. Petit à petit, elle reprit « du poil de la bête » . Sa convalescence a été assez longue. A notre mariage (1942), elle n’était pas encore tout à fait remise. On n’a jamais su vraiment ce qu’elle a eu mais sa maladie ne l’a pas empéchée, par la suite, de reprendre de plus belle ses activités. Malheureusement, cela a fichu un sacré coup au moral de Michel, son mari."
Michel le premier fils a 22 ans. Engagé l’année précédente il est affecté au 67ème régiment d’artillerie d’Afrique à Constantine. Son seul fait d’armes est pour l’instant un déplacement en Tunisie. En 1940, la guerre étant perdue, il réintègre Constantine avec la préoccupation constante d’aller rendre visite de temps à autre à, sa fiancée. Le mariage a été repoussé à cause d’un empêchement majeur. Michel père est bien mal. Il souffre depuis un bout de temps. Il a un poumon atteint par la maladie. Ses souffrances ont fait qu’à bout de force; il a dû cesser de travailler.Les revenus du foyer ne permettent plus de payer la maison qu’il occupe rue Thouin à Mondovi. Il ne peut pas, pour l’instant, honorer la promesse qu’il a faite au propriétaire indigène de payer par tempérament la somme qu’il lui doit.
Il y tient, à cette maison. Il a entrepris de rénover les locaux et il est sur le point d’achever les travaux. Un « malfrat », dénommé N...., sentant la bonne affaire, propose à l’indigène de lui acheter la maison « cash », coupant du même coup, l’herbe sous le pied à la famille. Une signature entérine la proposition. L’homme était un habitué de ce genre de truandage. Il s’en était fait une réputation. Rien n'a pu l’empêcher de renoncer à ses manigances. Pas même les menaces de Carmelo qui, le rencontrant par hasard sur le pont de la route de Barral, à la sortie du village, était à deux doigts de le faire basculer dans l'Oued Guerig par dessus la rambarde. Le colosse le tenait par le collet en proférant les pires insultes que lui dictait la rancœur de constater une telle bassesse. Le « moins que rien »eut la vie sauve grâce aux prières insistantes d’une tierce personne témoin de la scène. « NON, NON, ne fais pas ça,… ne fais pas ça ! » dit-elle. L’année 1940 s’acheva de triste manière. Outre la guerre, Michel était au lit s’affaiblissant de jour en jour.
Il mourut fin 41 avec, à son chevet sa femme Rosine.
C'était la guerre. Michel et François continuèrent leur temps à l'armée.
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1954 - C'est la faute à TRUGLIO. | |||||
A Bône le stade municipal portait le nom du député qui est à l’origine de sa création : PANTALONI. C'était un des rares stades engazonnés d'Algérie. Les équipes de foot de Bône étaient l'ASB dont tous les joueurs étaient employés de l'usine à gaz, la JBAC soutenue par les dirigeants de la TABACOOP et plus tard une équipe musulmane l'USMB. La violence régnait dans les stades. Les bagarres accompagnaient souvent les fins de match (cris, jurons, coups de pierres, de poings). Les fauteurs de troubles se séparaient assez souvent avec des blessures "minimes" ( un nez cassé, un ou deux yeux au beurre noir).
Je me souviens vaguement de ce match qui s’était déroulé dans ce merveilleux stade. Le spectacle méritait le déplacement puisque les équipes en lisse étaient une sélection bônoise et Dunkerque. Il y avait parmi les bônois des célébrités locales : TRUGLIO, les frères MENELLA, les frères RIPOLL, CALLEJA, TENERONI, COURBIS. Mais malgré la qualité de ces joueurs, le résultat était connu d’avance parce que le niveau de nos équipes n’avait jamais pu permettre de rivaliser avec celles de métropole. Malgré tout, le spectacle méritait le déplacement. Mon père décida donc de m’emmener. Mes deux oncles, Armand et François nous accompagnaient. Il y avait dans les buts de la sélection bônoise un professeur de culture physique, un dénommé TRUGLIO.
Mon oncle se précipita vers les travées d’où venaient les insultes. Mon père me mit à l’écart contre une rambarde des tribunes et me dit
« Allez vite…on rentre » me dit-il. Il n’avait pas l’air amoché.
Cette bagarre comme d’autres était le reflet d’un comportement presque naturel qui s’était installé au sein de la communauté. Il suffisait parfois d’un regard pour qu’on entende De toute l'Afrique du Nord, ce sont sans doute les gens de la région de Bône qui ont eu le plus grand répertoire de jurons, souvent incompréhensibles pour les étrangers. |
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A un Mondovien disparu... | ||
Retournons ensemble, pour un instant, si tu le veux bien, sur ces sentiers aux senteurs et splendeurs inoubliables du pays qui t’a vu naître.
Ils sont jalonnés de stations qui sont autant d’images que j’ai sélectionnées dans l’album de famille que je veux feuilleter avec toi...
Commençons par ces pages qui te montrent jeune fringant entouré de tes amis les plus proches ou de ta famille. Cela fait déjà 18 ans que tu es né dans ce village d’Algérie créé de toutes pièces par les mains d'hommes et de femmes courageux et dévoués. Tes ancêtres les ont rejoints pour leur préter main forte. Puis tes parents ont pris la succession avant de te donner naissance.
Progressons …
Regarde, tu es dans un habit de lumière, celui des musiciens de l’orchestre qui animait les jours festifs du village.
C’est certainement la sensibilité qui est née de l’apprentissage de cet art qui t’a fait tant apprécier cette musique nostalgique dont tu nous a si souvent parlé.
Et puis tu as joué le saltimbanque dans un rôle que la troupe théâtrale du village t'a confié dans une pièce dont le langage n’existe plus : le bônois.
Saltimbanque, toute ta vie tu l’as été dans l’âme.
Dans ta tête c’était alors une fête perpétuelle qu’entretenait ton père, musicien bon vivant et ta mère qui ne demandait qu’à le suivre.
Nul doute que le soleil y était aussi pour quelque chose.
Mais malheureusement le soleil, capable de cacher la mélancolie, ne peut rien contre la souffrance d’une famille face à la guerre ou à la maladie.
Tu as dû quitter ton village natal pour participer à la défense de ton pays. C'est alors que ta mère Rosine se releva par miracle d’une maladie qui plongea ton père dans un tel désarroi qu’il en mourut. Il n’avait qu’une cinquantaine d’années…
Tournons la page…
Te voilà photographié en tenue militaire. C’est la guerre. Dans une calligraphie impeccable tu as écrit au verso:
Le printemps est venu me surprendre loin de vous.
Mes pensées sont toujours affectueuses pour tous.
Retrouvez en mes vers, le bonheur, le plaisir
Que mon être ressent, en voyant l’avenir.
L’avenir ce sera pour toi ce que dissimule la photo suivante. L’amour que tu as pour ta future femme avec qui tu te marieras et qui sera à tes côtés jusqu’à ton dernier souffle.
Une vie de complicité et de bonheur soumise pourtant à de dures épreuves que votre ténacité a permis de surmonter.
La vie, c’est vrai est faite de haut et de bas comme ce chemin qui nous mène au bout du Cap de Garde, à Bône.
Au fond, la mer fait scintiller les milliers de diamants et toi, au premier plan, tu exhibes, frétillant au bout d’une ligne, un merveilleux poisson.
Tu as eu une passion constante pour la pêche et c’était un régal de t’entendre partager ce plaisir, avec tes deux frères ou d’assister aux préparatifs d’une sortie.
Non loin de là une plage a servi de décor à nos plus belles sorties dominicales : la plage Toch où on te voit maintenant. Tous les membres de la famille sont là et parmi eux tes deux enfants résultat de ta détermination à fonder une famille.
Ton amour du beau t’a poussé régulièrement à fréquenter les rives de cette méditerranée que tu as tant aimée…
Attention une photo s’est décollée…elle risque de tomber…Tu es affublé d’une tenue de combat de l’armée française…Cela fait tout drôle de te revoir en tenue militaire après tant d’années. C’est l’époque de ce qu’on a appelé les "Unités territoriales", l’époque des évènements, l’époque où chaque jour nous apprenait de terribles nouvelles.
Nous voilà à la dernière page de l’album...
Sur un grand bateau, un homme est assis sur ce qui ressemble à une malle comme pour vouloir empêcher qu’on soulève son couvercle.
En regardant de plus près on peut te reconnaître. Tu quittes ton pays natal, l'Algérie...
Cette malle, je l’ai revue quelques années plus tard sous la fenêtre qui donne sur le Canigou.
Je me suis toujours demandé si tu n’y avais pas soigneusement caché toutes ces choses dont tu nous a parlé avec tant d’amour et de conviction tout au long de ta deuxième vie passée de l'autre côté de la Méditerranée : les senteurs et splendeurs, la musique de la nostalgie, les lumières aux milliers de diamants, le soleil qui cache la mélancolie…de ton pays …proche de l’imaginaire
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Sur la route de BARRAL | ||
Pour aller du village à la ferme il fallait passer le pont de l'oued GUERIG.
Régulièrement Taillefer empruntait le chemin qu'il connaissait dans ses moindres défauts. Son pas régulier martelait le sol de la route qui menait à Barral. C'est là que se finissait la plaine de BÔNE et que naissait les premiers contreforts du relief. Ce jour là Taillefer tractait une nouvelle charrette dont Charles, le fils de Carmelo, était fier. Conduire une nouvelle charrette c'était, à cette époque, comme piloter une nouvelle automobile. Le pas cadencé régulier marqué par les sabots du cheval donnait l'impression qu'il avait conscience qu'il traînait un nouveau véhicule. L'oued Guerig marquait les limites sud du village. À cet endroit la rivière avait creusé un lit profond avant de rejoindre la Seybouse, un peu plus bas. Dans le virage après le pont franchissant l'oued, sur la gauche, descendait un chemin de terre qui permettait d'atteindre une parcelle appelée « demi hectare » parce que cela correspondait à sa superficie. Au milieu de ce terrain deux énormes figuiers exhibaient, à la belle saison, des fruits tellement gros qu'un seul suffisait à rassasier le plus difficile des gourmands. On y voyait souvent des enfants s'y aventurer malgré la dangerosité du lieu.. Le chemin marquait la limite nord des terrains de la ferme de Carmelo et Joséphine. À droite, après avoir passé le pont, une barrière souvent fermée permettait d'accéder à une petite ferme au bout d'un chemin assez long. On y apercevait parfois une dame seule la plupart du temps. Elle vivait dans la ferme qu'elle avait créée avec son époux emporté trop tôt par une maladie. Par comble de malchance la destinée arracha à la femme son fils à peine agé de 16 ans. À la mort de son mari plutôt que de baisser les bras la dame décida de poursuivre l'exploitation des biens dont elle se retrouva responsable. Certaines parcelles de terre qu'elle possédait au bord de la Seybouse s'amenuisaient d'année en année suite aux inondations dévoreuses de terre de la rivière. Elle s'entoura de personnes, des indigènes, qui se chargeaient de la culture et qu'elle payait en leur cédant une partie de la récolte. Ces travailleurs vivaient à la ferme. Ils produisaient essentiellement du tabac qui était vendu à la TABACOOP, coopérative créée à Mondovi pour faciliter les échanges entre les producteurs et les sociétés d'exploitation. Le blé faisait partie des cultures au village. Une année où la récolte avait été vraiment intéressante, chez la dame, le stockage du grain posa problème. En attendant la livraison aux docks silo de BÔNE il fallait absolument que la récolte soit rangée en lieu sûr pour éviter toute tentative de vol. La dame trouva une solution radicale qui consistait à faire déménager les meubles d'une pièce de sa modeste maison pour y stocker le grain. Pour elle chaque jour était une lutte constante pour mener à bien l'objectif qu'elle s'était fixé : poursuivre l'exploitation de la ferme. Charles franchissant le pont vit la dame et lui fit signe pour lui dire bonjour. Elle avait souvent recours à lui ou à Carmelo pour résoudre des problèmes presque quotidiens. Une véritable amitié est née de ces relations qui poussèrent jusqu'à considérer la dame comme une parente. Elle se prénommait Vincente et devint tout naturellement Tata Vincente. De chez Tata Vincente à la ferme de Carmelo il y avait une ligne droite après le virage. La route était bordée d'arbres qui avaient été plantés lors de sa création en 1848. Pour les protéger on avait peint le tronc à la chaux. Sur la gauche, les terres de Carmelo commençaient par une plantation d'arbres épineux qui se couvraient l'été de fruits de la taille d'une cerise : il s’agissait de jujubiers. Lorsque le jujube prenait sa couleur rougeâtre les enfants s'en remplissaient les poches et les déguster un peu comme on fait avec des cacahuètes. Le jujubier c'était l'emblème de la ville de BÔNE : on le retrouvait sur les armes de la ville. Juste après les jujubiers, un portail pratiquement toujours ouvert le jour, donnait sur la cour de la ferme de Carmelo. Charles posa les rênes sur le dos de Taillefer qui avait compris qu’il était arrivé à destination. Il n’était pas rare de voir devant la ferme la charrette de Carmelo ou une voiture d'un invité qui lui rendait visite. Ce jour-là c'était celle d'un ami amoureux de chasse comme lui, fonctionnaire en retraite qui se chargeait de commander en France tout ce qui est nécessaire pour fabriquer les meilleures cartouches. À l'occasion, en fonction de l’heure cela se passait devant un café ou une anisette, ce breuvage devenu roi dans toute l'Algérie. La propriété de Carmelo était modeste. Elle comptait une dizaine d'hectares mis en valeur par des plantations d'arbres fruitiers, de cultures maraîchères et un élevage de vaches et cochons. L'homme était d'origine maltaise. Orphelin à huit ans, il n’a jamais su lire ni écrire et a commencé, comme les Italiens ou les Espagnols par les besognes les plus difficiles, celles auxquelles les Français, vignerons ou chefs de culture ne voulaient pas se plier. D'abord ouvrier, concurrent des indigènes sur le terrain de la main-d'oeuvre, il a réussi, à force d'acharnement, à se créer un petit patrimoine tout en apprenant combien il est difficile de vivre comme les quelques ouvriers qu'il emploie. Il est bien décidé, pour ces raisons, à profiter de l'exploitation de ces terres qu'il fait siennes tout en conservant le souvenir d'une partie de sa famille restée sur l’île de Malte avec laquelle il a gardé le contact. En poursuivant son chemin après la ferme de Carmelo on découvre les vignes du domaine de GUERIG qui vont jusqu'au territoire de BARRAL : 120 ha de part et d'autre de la route, qui permettent de produire du vin dans une cave qui peut contenir jusqu’à 18 000 hl du breuvage. Une centrale électrique privée fournit du courant à l'ensemble de la propriété qui compte 26 ha d’orangers, 40 ha de coton 30 ha de céréales. Le domaine appartient à une famille d'origine française qui, de succession en succession a su profiter de l'évolution des choses pour s'enrichir jusqu’à se constituer un patrimoine de 387 ha. Mais, un jour de 1957, le 19 février on apprit que Jean, le dernier des descendants de la famille, en charge de la propriété, avait été lâchement assassiné par le FLN. Lieu de vie intense et de promenades fort agréables la route de BARRAL est alors devenue comme beaucoup de route en Algérie un lieu où on ne pouvait s’aventurer que par la force des choses, par obligations professionnelles. Un jour, le portail de la cour de Carmelo a été fermée d’une grosse chaîne cadenassée et gardé par un chien qui allait de long en large, enchaîné à un câble tendu au travers de la cour. Seul, Carmelo pouvait l’approcher parce qu’il lui donnait à manger. Chaque soir lorsque la nuit tombait, il lançait un coup de sifflet vers les quatre coins de la ferme et attendait que les chiens qui y étaient postés lui répondent d’un aboiement qu’il savait reconnaître et qui le tranquillisait. S’il arrivait qu’un chien ne réponde pas, il prenait alors son burnous et son fusil pour aller se rendre compte, avec toutes les précautions d’usage, de la raison de son silence… La guerre avait commencé… |
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